Interview : vincent lindon

Par · Publié le 24 mars 2009 à 14h41
A l'occasion de la sortie de Welcome, le nouveau film de Philippe Lioret, rencontre avec l'acteur principal de ce film polémique, Vincent Lindon.
SAP : Vincent Lindon, qu'est-ce qui vous a séduit dans le scénario de Welcome ?

Vincent Lindon : Ce qui m'a séduit dans le scénario, c'est l'histoire en général et mon personnage en particulier. Le jour où Philippe me l'a racontée au restaurant, j'ai eu l'impression d'écouter une histoire comme quand j'étais petit. J'étais pendu à ces lèvres. J'en ai oublié de manger. Il y avait juste ce qu'il faut pour avoir peur, du suspense... une vraie histoire de cinéma. C'est l'aspect cinématographique qui m'a plu au départ. Ensuite ça a été le personnage, dans lequel il y a un élan romanesque. Ce que j'aime c'est que c'est quelqu'un qui va essayer d'aider en secret un jeune Kurde et lui apprenant à nager. Mais sa raison principale est qu'il veut récupérer la femme qu'il aime et avec qui il est en instance de divorce. C'est comme pour lui dire « Tu as vu ? Tu ne m'en croyais pas capable mais voilà ce que je fais. J'ai du courage ». Au fur et à mesure de l'histoire, à cette raison toujours valable vient se greffer une histoire entre un homme de mon âge et un jeune kurde. Il y a une filiation, c'est peut être le fils qu'il n'a jamais eu. C'est aussi un homme qui cesse de regarder en bas en rentrant chez lui, qui lève un peu les yeux et qui devient un citoyen qui se mêle.

Ça parle des réfugiés de Sangatte dont on connait l'horreur par les actualités. Mais il y a aussi une formidable matière romanesque autour.

Vincent Lindon : Voilà. J'adore les documentaires mais dans un film sous forme de documentaire, on vous explique des choses, on vous donne des faits, des dates, une chronologie... C'est assez bouleversant mais ça s'adresse d'abord au cerveau. Un film de fiction va d'abord au coeur, à l'affectif. Ça a une capacité d'indignation, de soulèvement, beaucoup plus forte. Philippe Lioret aime bien répéter une phrase de Truffaut qui dit « Dans tout grand film il y a un grand documentaire ». Moi j'ai toujours aimé les films qui parlent de notre monde, de notre vie, de notre pays, mais insérés dans une histoire d'amitié, d'amour, ou une histoire romanesque, ou violente. C'est vrai que dans la comédie « La crise », Bernie Sérot parle de la macrobiotique, la médecine chinoise... Si ce n'est que ça, ça devient un documentaire bio et on s'en fout. Mais c'est inséré dans une comédie avec deux personnes, une relation amicale incroyable. Dans tous les films de Capra ou de Raoul Walch, il y a toujours un fond, soit la crise de 29, le maccarthisme ou le new deal... Il y a toujours quelque chose. C'est ça que j'adore dans les films. Et même récemment, « Slumdog millionaire » est un jeune qui va gagner des millions mais Danny Boyle nous montre l'Inde, la précarité, la joie que des gens très pauvres ont quand un des leur s'en sort. « Harvey Milk » c'est pareil. Evidemment, c'est un film sur Sean Penn, mais c'est aussi toute l'histoire de l'homosexualité dans les années 70. C'est ça que j'ai adoré dans « Welcome ». Il y a l'histoire, les faits, l'actualité, qui viennent devant, qui repartent derrière, qui reviennent au premier plan... Et l'amour vient devant à son tour... Ce sont deux histoires d'amour qui s'imbriquent. Il y a celle de Bilal, qui veut absolument aller rejoindre Mina, et celle de Simon qui veut absolument aller rejoindre Marion. Mais c'est à Calais et de l'autre côté de la Manche il y a l'Angleterre.

Le fait d'avoir tourné dans les décors naturels, là où l'histoire est sensée se passer, ça vous a aidé, porté ?
Vincent Lindon : Je ne sais pas si ça m'a aidé ou porté. Je pense que oui mais je ne sais pas ce qui s'est passé sur le moment. Tout ce que je peux vous dire c'est ce qu'il me reste après. C'est un principe pur de psychanalyse auquel je crois énormément. Ce qu'on a dit on l'a dit, ce qu'on a vu, on l'a vu et ce qu'on a entendu on l'a entendu. C'est une métaphore mais dans une dispute on peut toujours s'excuser après en disant pardon. Mais on l'a dit et l'autre l'a entendu. Ça ne sera jamais oublié. Je suis allé à Calais, j'y ai passé 14 semaines. J'ai été Simon, j'ai partagé ses joies, ses peines. J'ai vu ce que j'ai vu et j'ai entendu ce que j'ai entendu. Forcément, ça fait son travail. Les journalistes me disent souvent « Comment on sort d'un rôle comme ça, qu'est-ce qui vous reste ? ». Je ne sais pas comment on sort d'un rôle parce que je ne sais pas comment on y entre. Mais ce que je sais c'est mon rapport entre mes rôles, ce que j'aime et ce que j'ai envie de faire. Je veux qu'il y ait une circulation entre mon personnage et moi. J'ai toujours envie que le personnage me ramène à moi, de la manière dont il veut, au moins autant que ce que j'ai donné au personnage. Je m'aperçois après avoir fait ce film que c'est comme si je faisais des rôles qui sont des gardes fous pour m'empêcher de tomber dans des pièges dans lesquels je n'ai pas envie de tomber. C'est comme si Simon était là et me disait « Ce n'est pas tout le faire le malin et de faire Simon à Calais dans le film Welcome, si c'est pour te conduire comme ça, ça ne sert à rien ». Vous voyez ce que je veux dire ?
Ça veut dire que ce film a aiguisé votre conscience de citoyen ?

Vincent Lindon : Oui. Je crois vraiment qu'inconsciemment je vais vers des rôles qui me préparent à des situations après le rôle. Quelque fois je fais des rôles qui ressemblent à ce que j'ai vécu avant. Mais il y a toujours un rapport entre ma vie et les rôles que je fais.

Comment avez-vous investi ce rôle de maitre nageur ? Vous dites que ce sont les accessoires qui commencent à dessiner le personnage, c'est-à- dire vos tongues en l'occurrence ?

Vincent Lindon : C'est obsessionnel. Je ne pense qu'au détail, ce que je porte, quelle voiture je conduis, mon prénom, où je pose mes clés, les chaussures, les assiettes... On a la même folie. Je pense que la vie n'est faite que de détails et que ce sont les détails qui forment le fond. Chacun fait ce qu'il peut comme il peut. Moi ma façon de travailler est la suivante : je m'intéresse énormément à ma façon de bouger, les gestes. Il n'y a que ça qui m'intéresse, la manière dont je me trimbale. Une fois que je suis dedans, une fois que j'ai trouvé comment j'arrive sur le ring, je boxe. Il y a des gens qui sont beaucoup plus intellectuels que moi, qui se foutent complètement de leur manière de bouger. Ils se demandent comment ils vont dire les choses. La parole sort de ma bouche avant que mon cerveau n'ait le temps de la contrôler. De plus en plus, quand j'incarne un personnage, je le fais comme dans la vie. Je ne veux pas avoir mon deuxième cerveau qui sait que dans 25 secondes la lumière va s'éteindre, qu'il y a une coupure de courant... Quand je joue un personnage, j'apprends mon texte par coeur, comme un âne. Je ne cherche pas à comprendre ce qu'il veut dire. Je bouge. Le texte sort comme il sort. Je ne pense pas à ce que je dis, comme dans la vie. Ce que je vous dis là, je n'y pense pas. En fait j'y pense mais le cerveau va à 75400 km/seconde. Donc en fait je ne pense pas à ce que je dis. Et je refuse de jouer la comédie où je pense à ce que je dis. Philippe filme pareil. Il regarde assez rapidement ce qu'il va filmer mais ne répète pas son filmage pendant des heures. Ce sont ses acteurs qui l'emmènent, et si on rate le cadre on recommence. Il faut se mettre sous tension. On dit tout le temps que dans le cinéma on peut recommencer. C'est faux. Je ne me mets jamais dans cet état là. Je ne me dis jamais qu'il y d'autres prises derrière. Je joue la première prise comme si c'était la prise absolue. Philippe aussi. Tout simplement parce que je ne crois pas aux prises d'après. Elles sont là pour changer un détail ou réparer un truc. C'est ce qu'on devrait apprendre aux athlètes. Dans le saut en hauteur, on dit qu'il y a trois essais. Ce n'est pas vrai, on a qu'un essai. Parce que si on rate le premier, on se dit qu'il ne nous en reste que deux donc on rate le second. Et on rate le dernier parce que c'est le dernier. C'est pour ça qu'il faut réussir le premier essai.

C'est ça qui donne la vérité au film ?

Vincent Lindon : C'est exactement ça. Je crois que Philippe nous a conditionnés. Par respect pour les gens dont on parle, pour Bilal, Simon, ce qui se passe à Calais, à ne pas le faire 36 fois. On leur doit ça. Ils méritent le moins de singeries possible.
Interview réalisée par Romain Viallard


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