Interview : olivia ruiz

Par · Publié le 22 avril 2009 à 14h28
A l'occasion de la sortie de son troisième album, Miss Météores, rencontre avec Olivia Ruiz, la femme chocolat.
« Miss Météores » fait allusion à l'ultra féminité, et peut être pour la première fois à un décollage vers les étoiles. Il y a cette métaphore « Olivia Ruiz s'envole vers les étoiles » ?

Olivia Ruiz : En fait, le choix de la pochette a pas mal conditionné le choix du titre. Mon idée était de dire, avec ce grand ciseau dans mes mains, que je fais la pluie et le beau temps dans ma propre vie. Un météore est quelque chose qui passe, mais c'est quelque chose qui peut aussi s'enfoncer dans la terre et être pleinement ancré dans la réalité. Le petit jeu de mot rigolo m'amusait, « miss météo ». Ça a été assez naturel finalement, de choisir le titre « Miss Météores », et la chanson « Les météores » dans
l'album est très importante pour moi, c'est peut être celle dans laquelle je me mets le plus à nu. C'était aussi un clin d'oeil à ce morceau qui compte beaucoup pour moi.

C'est aussi la météo des cœurs cet album ? Un état des lieux de la météorologie intime d'Olivia Ruiz ?

Olivia Ruiz : Mes amis m'appellent la météo des montagnes, parce que je suis très impulsive, très latine tout simplement. Dans l'album précédent, il y avait « La fille du vent ». Le fait de revenir sur les éléments, moi qui suis une fille très terrienne, je décolle un peu en essayant de regarder la réalité sous un angle différent et métaphorique, pas simplement en tant que conteuse d'histoires du quotidien. Je les éloigne de leur sens le plus premier.

Ce qui ne change pas dans cet album, c'est le lieu d'enregisrement, le studio parisien Accousti, ta résidence secondaire, comme tu as l'habitude de le dire. Pourquoi avoir besoin de ne pas changer de studio d'enregistrement ?

Olivia Ruiz : Je ne sais pas, si j'avais besoin de ne pas changer de studio. J'avais surtout du plaisir à me dire que j'allais y retourner. Tout à coup, je suis dans un lieu que je connais, qui m'est familier. Cela me paraissait la façon idéale pour moi de me remettre à créer. Alain Cluzot, Mathias Malzieu, ce sont des piliers dans cette création. Ils savent aujourd'hui merveilleusement traduire mes idées et les concrétiser. C'était aussi un gain de temps énorme au niveau du travail.

Avec le succès, après avoir vendu plus d'un million d'albums, est-ce que tu n'as pas envie de te la péter un peu, d'aller chercher un studio un peu mythique ?

Olivia Ruiz : C'est sûr que tout le monde en rêve, se couper de sa réalité parisienne ou française, d'aller se dépayser. Ça met dans une forme d'état d'esprit différente. Ce n'était pas le moment pour moi. C'est vrai que j'aurais peut-être dû le faire là et profiter de la vague de succès de « La femme chocolat ». En même temps, ça sera sans regret parce que j'ai mes petits contacts. Je peux appeler Beirout, et lui demander si je peux venir trois semaines en enregistrant mon prochain disque. Ou je peux appeler Buck 65, et lui dire « Tu ne veux pas qu'on fasse mon disque dans ton petit studio avec 3 francs 50 ? ». Si j'ai envie de me dépayser, ce n'est pas forcément utile de me dire que j'ai des moyens, que c'est maintenant ou jamais. Justement, ces moyens m'ont servi plus que jamais parce que j'ai pu inviter tous les gens avec qui je voulais bosser et en plus d'aller plus loin dans la recherche. Quand on n'est pas là, se dire qu'on a un musicien pour la journée et qu'il faut qu'il bosse sur tel morceau, tel morceau... On peut prendre le temps de se dire, « s'il faut qu'il revienne demain, il reviendra demain ». On fouille plus,
on va plus en profondeur dans les chansons. Du coup, c'est vrai que je n'ai pas de regret, mais un jour peut être je vais faire la maligne et aller me chercher un réalisateur américain super connu dans un studio mythique. Peut être un jour ! Mais ce n'était pas pour maintenant.

Ce tandem Cluzot-Malzieu, c'est aussi un peu devenu un tandem mythique grâce à toi. Es-tu la chef de ces deux garçons, qui transcendent un peu ton univers mais qui sont contraints de bien comprendre ta mécanique de production ?

Olivia Ruiz : C'est vrai que c'est la force de Mathias et de Cluzot. Ils n'ont pas d'égo. Ils ne veulent
pas satisfaire leurs désirs, ils ont d'autres projets pour ça, des projets personnels. Aujourd'hui, peut être que sur « La femme chocolat » on était un trio. J'ai pris la place de cheftaine du trio parce que je sais mieux m'exprimer sur ce dont j'ai envie. Je tiens mieux les rênes et eux peuvent d'autant mieux se mettre au service du cadre que je définis. Je m'explique mieux et je gagne en expérience.

Ce qui a changé, c'est l'écriture. Il y a un vertige dans l'inspiration d'Olivia Ruiz. C'est Juliette Gréco qui t'a décomplexée et qui t'a poussée à enfin écrire ton album presque de bout en bout ?

Olivia Ruiz : Déjà, le fait que « La femme chocolat » fonctionne m'a bien décomplexé en tant qu'auteure. Je me suis dit « J'écris la moitié de mon album et c'est celui là qui marche ! ». L'album d'avant a eu un joli succès d'estime mais n'avait pas cartonné et je n'avais fait qu'une seule petite chanson. Déjà, ça a été un premier cap. Et effectivement, le fait que Juliette Gréco me prenne deux chansons, ça a fini de
m'ouvrir. Quand tu me parles du vertige de l'écriture, il y a ce truc là. Il y a une appréhension du fait que mes textes prennent possession de moi, pour me recracher en pleine figure tout ce que j'ai au plus profond et que je n'ai pas sorti. Ce n'est pas forcément facile de s'y atteler. C'est un peu comme si on faisait son travail classique d'auteur est qu'en même temps une thérapie s'impose avec l'écriture. L'écriture fait ressortir des réalités qu'on n'a pas forcément envie d'affronter. Le passage par l'écriture ramène des choses sans qu'on le décide ou qu'on le veuille.

Justement, c'est très important, tu parles de thérapie. Dans l'écriture, on peut partir de soi mais on a la sensation que l'introspection doit devenir universelle. C'est ça le travail d'auteure d'Olivia Ruiz ?

Olivia Ruiz : Oui, de toute façon, à chaque fois que je termine une chanson je me pose cette question : « Est-ce que ça n'intéresse que toi, est-ce que tu es en train de faire quelque chose d'hyper nombriliste qui ne va intéresser personne ou est-ce que ça peut parler à d'autres que toi ? ». Sur « Elle panique », quand je termine la chanson, je me suis dit que je n'allais pas la mettre. Je me suis dit que c'était hyper égocentrique cette chanson, mes petites angoisses, mon petit combat contre mes petites angoisses... Et au bout de la troisième personne, de sexe et de génération différente, qui te dit « Mais tu parles de moi dans cette chanson », on commence à se dire que l'on s'est trompé. Si ça raconte quelque chose et que certaines personnes se sentent concernées, c'est que ce n'est pas juste une petite chanson auto thérapeutique. Ça peut être thérapeutique pour d'autres aussi qui tout à coup se sentent pleinement concernés.

Ça peut être vertigineux, satisfaisant ? Ce weekend j'étais avec une fille de 48 ans, qui m'a dit « Enfin une chanson écrite pour notre génération », en parlant de « Elle panique ». C'est incroyable, parce que ce n'est pas du tout le cahier des charges de départ !

Olivia Ruiz : La petite anecdote rigolote est que j'ai fait écouter cette chanson à ma mère. Elle me dit « Oh là là mais tu parles encore de moi dans cette chanson ! ». Je lui ai dit que non, je ne parlais que de moi. Effectivement, on se dit que les angoisses de prétrentenaires, sont les mêmes que celles des trentenaires, de quarantenaires... On est tous égaux face au temps qui passe, face au devoir de combat qui doit être le nôtre pour rendre les choses belles et positives, toujours en état d'avancement. C'est la meilleure des récompenses quand quelqu'un te dit qu'il se sent hyper concerné. Dans mon cas, quand c'est un mec de 50 balais, avec un job qui n'a rien à voir avec le mien et qui n'a pas la même vie que moi, je me dis que c'est bon, que j'ai peut-être tapé juste.

On a l'impression qu'à travers l'écriture et les chansons comme « Les crêpes aux champignons », il y a la jubilation de mettre en scène des histoires. C'est sur cette façon de raconter des histoires avec un début, un milieu et une fin que tu as le plus travaillé ?

Olivia Ruiz : « Les crêpes aux champignons », c'est peut être une des chansons dont je suis la plus fière. C'est quelque chose que je ne fais pas naturellement, écrire une chanson à chute, alors que j'adore ça chez les autres et en tant qu'auditrice. J'aime ça, raconter des histoires, mais je ne les fais jamais sous une forme ordonnée à la façon des auteurs que j'apprécie. Et puis je me suis rendue compte que « Le saule pleureur », sans chercher à faire une chanson à chute, en est une aussi. « Les crêpes aux champignons », je l'ai retourné dans tous les sens pour essayer de dévoiler la clé du mystère de cette femme juste à la fin du morceau. S'il y a bien une chanson dont je suis fière c'est celle là, parce que c'est un exercice pour moi, alors que le reste est craché très spontanément. Là il y a un vrai travail de puzzle.

Il y a quelque chose de très cinématographique dans cette volonté de transmettre. Restons sur « Les Crêpes aux champignons », il y a presque un côté « hitchcockien », de mettre un climat dans la musique et dans l'intention des mots.

Olivia Ruiz : C'est vrai que j'aime ça, j'aime les atmosphères, qu'il n'y ait que deux notes. Je suis tout le temps à faire la guerre à mes musiciens, en leur disant « un minimum pour un maximum d'effets ! ». J'entends qu'ils ont toujours envie, c'est normal, ils sont tous supers forts, ce sont tous des prodiges qui ont eu un enseignement très scolaire. Ils sortent du conservatoire, de l'école de jazz. Et je suis toujours à leur casser les pieds en leur disant qu'il faut avec trois notes et une tenue, il y ait déjà un climat qui se
dessine. À partir de là on peut visiter le morceau en étant très parcimonieux au niveau des arrangements. Donc j'adore ça. Je suis impatiente d'attaquer les répétitions de la tournée pour ça, des choses qu'on a trouvées pour les répétitions acoustiques et sur lesquelles on se dit tout à coup « Avec deux notes de sanza, on est super angoissé.... ». C'est peut être la partie la plus ludique du travail, le moment où il n'y a qu'à jouer et à assembler des choses. On se dit « Ça ne doit pas aller du tout ensemble, je vais mettre ensemble pour voir s'il ne se passe pas un truc ».

C'est facile d'écrire des histoires d'amour quand on s'est fait connaitre en disant « Je n'aime pas l'amour » ? « Belle à en crever » ou « Les météores » sont des sublimes chansons d'amour.

Olivia Ruiz : Oui, j'avais un petit problème avec les chansons d'amour. C'est pour ça que j'ai choisis la chanson de Juliette « Je n'aime pas l'amour ». Ça peut être tellement borderline et dangereux de chanter l'amour... On risque tellement de tomber dans quelque chose de mièvre, de mielleux et de super chiant, que je ne voulais jamais aborder ce type de thématique. Et puis finalement, quand on prend juste une partie de quelque chose, en l'occurrence la jalousie et sa souffrance pour « Les météores » ou une passion démesurée pour « Les crêpes aux champignons », on se dit qu'on peut y aller, qu'on ne risque pas de tomber là dedans. Et il y a aussi cette espèce de mélange. Je me dis que si dans une chanson je donne de la voix alors que c'est une chanson d'amour, je vais avoir l'air d'une nana à qui je n'ai pas envie de ressembler du tout ! Je me suis aussi décomplexée au niveau vocal. Je me suis dit qu'après tout, ce n'est pas parce qu'on donne de la voix qu'on n'est qu'une chanteuse à voix et qu'on ne chante pas des textes avec une vraie profondeur.

Dans « Belle à en crever », le texte va très loin. Est-ce qu'on se pose des limites parfois, ou on se pose la question des limites dans la chanson d'amour ?

Olivia Ruiz : Comme je suis très pudique, je n'ai pas besoin de me cadrer au niveau des limites de ce que je vais dire, ça se fait assez naturellement, il y a une espèce de barrière invisible au moment où j'écris qui fait que je ne rentre jamais dans des choses trop personnelles, ou je ne vais pas trop puiser dans le présent. Je vais plutôt fouiller dansmais anciennes histoires, ou des histoires que vivent des gens de mon entourage, que je vais mettre comme ingrédient supplémentaire à quelque chose qui m'a parlé. Là dessus, je ne m'inquiète jamais trop parce que je sais que naturellement je suis pudique, je ne vais jamais aller très loin, ou raconter précisément quelque chose qui me démasquera.

Pudique mais en revanche, tu assumes peut-être davantage certaines de tes convictions ou de tes tragédies intimes. Je pense à « Quédate ». On a la sensation d'album en album qu'on suit le cheminement d'Olivia Ruiz et ce grand travail de réconciliation avec ses racines ?

Olivia Ruiz : Maintenant, quand je vois tous mes disques je me dis que « Je n'aime pas l'amour », mais il y a quand même la chanson cachée en duo avec mon père. « La femme chocolat », c'était encore la chanson cachée avec mon père mais avec plus de souffrance et la peur d'être dépossédée de cette chose qui nous permet de continuer notre quête, et de nous rapprocher uniquement de nous même, qui est quelque chose de personnel. Sur le live, il y a ces chansons en famille avec mon cousin Steph à la
contrebasse, qui m'accompagne au quotidien sur la route avec Guy, le guitariste de mon père, et mon père. L'échéance approche, nos anciens sont de plus en plus anciens et on est obligé d'évoluer dans nos points de vue. Aujourd'hui je me sens plus dans une urgence, il faut que je sache. Ils ne vont pas vivre jusqu'à 120 ans et moi j'ai besoin de clés. C'est ça que raconte la chanson « Quédate », reste avec moi grand-mère parce que je t'aime et que j'ai besoin de toi du point de vue affectif pur. Et en même temps tu sais que tu as certainement plein de choses à me dire avant de partir, qui va permettre qu'on ne se passe pas des boulets de génération en génération. Il faut couper la partie de la chaine qui est peut être la moins saine. Il y a ce mélange, cette évolution constante du rapport aux racines.

Tu parles même de psycho généalogie. Tu commences même à en parler un peu publiquement. Là aussi, tu sors de choses un peu inattendues ?

Olivia Ruiz : Je trouve ça tellement passionnant la psycho généalogie. Ce n'est pas que pour moi. Je me rends compte dans mon entourage qu'il y a des gens très hermétiques à tout ce qui est psychologie, qui sont intimement persuadés que la thérapie ne pourra pas avoir raison de leur mal-être. Ils ne se sentent pas du tout convaincus par ça. Moi j'ai un frère qui est psychologue interculturel, j'ai profondément confiance en ce genre de méthode pour se sentir mieux. Et je trouve que dans la psycho généalogie, il y a vraiment des clés. Dans cette thérapie spécifique qu'on ne connait pas ou mal, il y a
des choses super intéressantes. J'en parle parce que je pense que je ne suis pas la seule à me sentir concernée. En plus, le livre que je cite très souvent « Aîe mes aïeux », est vraiment foutu d'une telle façon que tout le monde peut comprendre et arriver à remettre les pièces du puzzle de sa propre vie juste avec les exemples donnés de façon très simplifiée qui rend les choses très évidentes.

On va te retrouver très vite sur scène. Le Chocolat show est définitivement derrière toi. Qu'est-ce que ça va être cette fois-ci ? « Le météore show » ?

Olivia Ruiz : Je n'ai pas donné de nom à cette tournée mais je suis en train de préparer un très joli décor, j'espère que ça plaira aux gens. J'ai hâte. Je suis morte de trouille, comme je suis une grande sportive, je flippe un peu au niveau de ma condition physique... J'ai du mal à me remettre en marche, il faudrait que je commence un coaching, à un mois de ma tournée, que je me prenne en main. Je n'ai jamais arrêté aussi longtemps. Même si j'ai fait quelques petits concerts en Espagne, ça fait deux ans que je n'ai pas fait de show de deux heures. Je suis confrontée à un truc, où pour la première fois j'ai perdu une sorte de forme physique. Je suis morte de trouille, ça m'empêche de dormir. Mais ça ne me donne pas plus envie d'aller faire du sport, c'est infernal... En même temps, je suis impatiente d'y être, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas... Je serai peut être un peu essoufflée sur les premiers concerts mais tant pis ! Je suis coincée entre la trouille monstrueuse et l'impatience. Tout à tour c'est l'un ou l'autre qui prend le dessus. Je pense que dès que tout aura recommencé, ça va être du plaisir pur encore une fois.

Dernière question, tu vas retrouver des gens qui ont acheté leur place avant même d'avoir écouté l'album, ce qui montre qu'il y a un public, une sorte de tribu Olivia Ruiz. Barbara avait écrit une chanson suite à cela, « Ma plus belle histoire d'amour c'est vous ». Qu'est-ce que tu vas leur dire, à tous ces gens qui te regardent aujourd'hui, qui ont déjà pris leur place en te faisant confiance sur ce nouvel album et qui vont venir te revoir sur scène ?

Olivia Ruiz : C'est ça qui fout la pression, ce sont les 2000 personnes qui ont acheté leur place pour l'Olympia avant même d'avoir écouté l'album. Soit elles sont un peu dingues soit elles m'aiment vraiment beaucoup. Comme je pense qu'il n'y a pas 2000 dingues, il y en a qui m'aiment beaucoup ! C'est ceux là que je ne veux pas décevoir, les fidèles qui comptent sur moi pour avoir deux heures de voyage ce vendredi soir là, et rentrer un peu plus léger chez eux. Je veux vraiment leur offrir ça. C'est bien le problème. C'est aussi super motivant !
Interview réalisée par D.V.
Sources : Tele-vision

Visuels : DR


Informations pratiques
Commentaires
Affinez votre recherche
Affinez votre recherche
Affinez votre recherche
Affinez votre recherche