Covid : l'Institut Pasteur de Lille contraint d'arrêter ses essais sur le Clofoctol

Par Laurent de Sortiraparis, Cécile de Sortiraparis · Publié le 10 décembre 2021 à 10h37
Après de longs mois de recherche et de grands espoirs, l'Institut Pasteur de Lille a dû stopper ses essais cliniques sur le traitement contre le Covid Clofoctol, faute de patients volontaires et de financements.

La recherche d'un traitement contre le Covid-19 semblait prometteuse, les chercheurs de l'Institut Pasteur de Lille étaient confiants : ils pensaient avoir trouvé dans le Clofoctol un médicament permettant de bloquer la réplication du virus dans les voies aériennes. L'organisme de recherche était en train de mener sa deuxième phase des essais cliniques, mais celle-ci a dû être stoppée prématurément.

« Ce n’est pas vraiment un arrêt mais plutôt un changement de stratégie. Nous allions droit dans le mur...  », révèle Xavier Nassif, directeur de l’IPL, dans les pages de la Voix du Nord ce jeudi 9 décembre.

Différents problèmes ont forcé l'équipe de recherche à suspendre leurs travaux. « De nombreuses procédures ont retardé le début possible de l’essai clinique visant à évaluer l’efficacité du Clofoctol au cours de la Covid-19. Les délais d’obtention des autorisations sont à l’origine des grandes difficultés que nous rencontrons pour recruter des volontaires avec pour conséquence une augmentation des coûts dépassant nos capacités financières... », explique l'IPL dans un communiqué.

Trouver des patients volontaires pour tester le traitement s'est révélé trop ardu : les sujets-test devaient avoir plus de 50 ans, être non-vaccinés et testés positifs depuis moins de trois jours. L'IPL avait besoin de 346 individus correspondants à ces critères.

L'Institut met donc en pause son étude, en attendant de trouver de nouvelles méthodes de travail pour relancer les recherches sans perdre autant d'argent et de temps qu'avant.

Une quête avortée

Des chercheurs de l'Institut Pasteur de Lille annonçaient mardi 29 septembre 2020 au micro de nos confrères de RTL avoir potentiellement découvert un traitement contre le coronavirus, une molécule plus précisément, qui semble active contre celui-ci. Un traitement déjà utilisé sur le continent européen pour d'autres usages, et qui pourrait être produit à plus grande échelle pour une commercialisation en 2021, après validation par les instances supérieures concernées. 

Lundi 6 septembre, l'Institut, dont l'essai clinique entre en phase 2, a annoncé avoir recruté son premier volontaire pour cette nouvelle phase. Au total, l'institut vise le recrutement de 350 à 700 patients, via les médecins généralistes et laboratoires. Un recrutement qui ne concerne pour le moment que les Hauts-de-France, mais, comme l'explique l'Institut Pasteur de Lille, "nous cherchons à les étendre à d'autres régions, notamment aux Antilles". Un recrutement qui risque de prendre plus de temps que prévu... Et pour cause, les autorisations ont pris beaucoup de temps, et les critères concernant les volontaires souhaités ne correspondent plus aujourd'hui aux personnes non vaccinées ou hospitalisées.

Un essai clinique qui a fini par se poursuivre aux Antilles, faute de candidats dans les Hauts-de-France, avec des tests qui ont débuté fin octobre, comme l'expliquent nos confrères de Médiacités Lille. Un premier volontaire a même été recruté, en Martinique.

Ces autorisations, l'Institut Pasteur les a eues en juin dernier. En les attendant, les chercheurs avaient réussi à obtenir le label priorité nationale de recherche, oblige l'ANSM à autoriser ou non les tests sur l’Homme sous huit jours. Une bataille que menait l'Institut depuis le mois de février, après qu'un comité ministériel, la Capnet, ait décidé, selon nos confrères de La Voix du Nord, de ralentir les recherches, et plus particulièrement le processus d'homologation du traitement avant sa commercialisation. La raison ? "Visiblement, ce comité ne comprend pas ce qu’est un repositionnement", expliquait alors Terence Beghyn, président d’Apteeus, biotech travaillant avec l'Institut Pasteur sur ce projet, toujours à nos confrères de La Voix du Nord. "Le comité suggère des amendements à la stratégie de développement clinique et principalement un redimensionnement initial de l’essai", indiquait de son côté l'Institut Pasteur de Lille

Du côté de l'Institut Pasteur, on restait optimiste : "On va perdre quelques semaines, mais le principal, c’est d’avancer", soulignait de son côté Xavier Nassif, le président de l'institut, tout en expliquant "prendre très au sérieux les recommandations de cette instance". Une attente qui devrait payer, si tout se passe comme prévu. Depuis, les essais cliniques ont commencé et comprennent une centaine de patients de la région au profil spécifique : "Avoir fait un test positif récent, avoir plus de 50 ans, avoir au moins un symptôme et ne pas avoir été vacciné", expliquait ainsi à nos confrères de La Voix du Nord Benoît Deprez, directeur scientifique de l'Institut Pasteur de Lille. Sur cette centaine de patients, une cinquantaine recevra le traitement, l'autre cinquantaine un placébo.

Ce qu'il faut savoir sur le Clofoctol

Concernant ce traitement, quel est-il ? Il s'agit du Clofoctol, comme l'expliquait mardi 13 avril Xavier Nassif, à nos confrères de France 3 Hauts-de-France. Cet antiviral a été découvert "par une technique de repositionnement, c'est-à-dire qu'on prend les médicaments qu'on trouve en pharmacie et on voit si, par miracle, il n'y a pas une molécule qui pourrait être efficace sur ce virus alors qu'elle n'avait pas été conçue pour ça", expliquait-il il y a plusieurs mois. Un médicament que l'Institut Pasteur a souhaité ne pas divulguer tout de suite, au moment de l'annonce de leur découverte : "On veut garder le nom du médicament secret pour pouvoir éviter le marché parallèle, les prescriptions sans contrôle et la maitrise des stocks", soulignait ainsi un chercheur en novembre dernier. 

Comment fonctionne-t-il ? Là également, Xavier Nassif donnait une réponse : "On a utilisé ce produit qui n'est pas totalement répandu. Le principe actif vient se concentrer dans les voies aériennes, les poumons, là où se trouve le virus au début de la maladie", explique-t-il. Et de poursuivre : "Dans tous les tests réalisés, cette molécule inhibe la réplication du virus. [...] C'est une molécule qui est très peu utilisée et qui ne présente pas de problèmes particuliers en termes d'effets secondaires. Donc elle pourrait être administrée sans risque".

Et de préciser au micro de nos confrères de France 3 ce mardi 13 avril : "Les antiviraux n’affectent pas les mêmes composés du coronavirus que les vaccins. Ils sont insensibles aux variants parce qu’ils s’attaquent aux constituants fondamentaux qui permettent la réplication du virus. Eux ne varient pas, ou très peu". Une efficacité qui faciliterait donc le traitement des variants qui commence à résister au vaccin sur le marché.

Où en sommes-nous dans les essais cliniques ? Après avoir été testé sur des cellules humaines infectées, avec un certain succès, ce traitement a fait l'objet d'une étude préclinique en octobre 2020 sur des singes, sans succès en raison de la pharmacocinétique, mais également sur des souris, avec succès cette fois-ci. Un essai clinique randomisé a été lancé en mai, actuellement en phase 2.

Xavier Nassif a également donné quelques précisions sur la question mardi 13 avril : "Il y aura des essais randomisés avec deux groupes de patients et un tirage au sort : les uns obtiendront le médicament avec le principe actif, les autres non. Les patients seront suivis pendant trois semaines pour un essai à double aveugle. On a besoin de 600 à 700 volontaires dans les Hauts-de-France pour réaliser ces essais", explique-t-il, toujours à nos confrères de France 3. Concernant les résultats, si tout se passe bien et que les autorités sanitaires suivent de près l'avancée des travaux, ceux-ci devraient arriver dans le courant de l'année 2021.

Quand sera-t-il commercialisé ? Selon le directeur de l'Institut Pasteur de Lille, l'idée était de le proposer sur le marché dès le printemps 2021 : "On fait le design de cet essai, ensuite on va demander les autorisations nécessaires, mais ça va prendre un certain temps", évoquait-il il y a plusieurs semaines. Et de continuer : "On se demande aussi à qui cette molécule va être destinée, aux gens très peu malades, aux porteurs asymptomatiques pour qu'ils sécrètent moins longtemps le virus, ou encore aux gens très malades. Si on fait les essais cliniques rapidement, on vise la fin de l'hiver 2021". Une date repoussée aux calendes grecques, les essais venant à peine de commencer. 

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