Mia Hansen-Løve : « Je ne crois pas à la performance au cinéma, je crois à la vérité »

Par Nathanaël de Sortiraparis · Publié le 4 octobre 2022 à 15h01
A l'occasion de la sortie d'Un Beau Matin, son nouveau film, ce mercredi 5 octobre, Mia Hansen-Løve s'est confiée à Sortiraparis au cours d'une interview où elle évoque les derniers jours de son père,

Alors que sort au cinéma Un Beau Matin, le 5 octobre 2022, sa réalisatrice, Mia Hansen-Løve, s'est confiée à Sortiraparis pour évoquer ce nouveau long-métrage, la résonnance qu'il tient vis-à-vis de sa propre vie et son travail de cinéaste

Un Beau Matin, le plus beau film de Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud : critiqueUn Beau Matin, le plus beau film de Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud : critiqueUn Beau Matin, le plus beau film de Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud : critiqueUn Beau Matin, le plus beau film de Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud : critique Un Beau Matin, le plus beau film de Mia Hansen-Løve, avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud : critique
Le huitième long-métrage de Mia Hansen-Løve, "Un Beau Matin", est sans doute son meilleur. Ce drame doux-amer avec Léa Seydoux et Melvil Poupaud est à découvrir le 5 octobre au cinéma. [Lire la suite]

Sortiraparis : On vous avait laissée avec Maya et Bergman Island, vos deux précédents films tournés à l'étranger et en langue anglaise. Là, vous faites le choix de revenir à un film parisien.

Mia Hansen-Løve : Je ne pense pas que ce soit un choix. Ça s'est imposé à moi. Mais effectivement, j'ai eu le sentiment de revenir à la maison en faisant ce film. Mon inspiration m'a amenée à faire deux films successifs à l'étranger. Je suis allée au-devant de l'inconnu en faisant ces deux films. Quand je me suis remis à une table d'écriture, j'ai senti que je n'avais pas vraiment le choix et qu'il fallait que je me confronte à ce sujet-là, d'une manière assez directe. Ça fait partie de ces films que j'ai l'impression d'avoir fait plus par nécessité que par choix. Comme L'avenir d'ailleurs.

Pourquoi ?

M.H.L : Je voulais essayer de prolonger la présence de mon père était en train de disparaître à travers une fiction, qui a toujours été un moyen pour moi de me réconcilier avec la vie. En fait, j'ai l'impression que j'utilise le cinéma de manière un peu philosophique, tout en n'étant pas du tout philosophe. Je n'ai pas de connaissances des philosophes et ni leur sagesse, mais le cinéma m'aide dans une quête de sagesse.

Il y a souvent une dimension autobiographique dans vos films. Est-ce un moyen de mieux vivre les étapes que vous traversez ?

M.H.L : Ce qui est paradoxal, c'est que je me nourris d'expériences que j'ai vécues parfois dans certains de mes films. Mais en même temps, ces expériences sont transformées par la fiction. D'abord, les deux sont toujours différentes. Et puis le vécu est chaotique, informe. Et quand vous en faites une fiction, aussi autobiographique soit elle, vous faites des choix : vous triez des choses, vous les mettez en forme, vous vous inscrivez dans une narration et tout ça participe d'une transformation. C'est comme si vous donniez un cadre aux choses. J'ai l'impression d'ordonner le chaos des sentiments qui accompagne la vie. Et ça m'apaise. Donc oui, il y a vraiment une dimension cathartique. Je ne peux pas le nier.

Vous parliez de votre père, qui est votre source d'inspiration principale pour ce film. Vous avez choisi Pascal Greggory pour l'incarner. Sa manière de jouer la maladie qui est très particulière. Très humble. Elle n'a rien à voir avec ce qu'on a l'habitude de voir dans les films qui traitent de ce genre de sujet. Comment vous avez travaillé le personnage avec lui ?

M.H.L : J'ai eu la chance d'avoir un acteur avec une très grande écoute, une très grande disponibilité et aucun interdit. Quand je lui ai proposé le rôle, j'avais peur qu'il le trouve trop ingrat ou dévalorisant. Mais il l'a vu comme un outil lui permettant d'explorer quelque chose qu'il n'avait pas encore exploré. Et grâce à ça, il s'est mis au service du rôle avec une immense humilité. Ça m'a permis d'avoir une relation très grande confiance avec lui, une complicité totale, donc ça a été un très grand bonheur. Ce qui est paradoxal, c'est que je reviens sur des choses que j'ai vécues. Mais en fait, en les faisant jouer, ça devient un moment de plaisir. Donc c'est vraiment, au sens littéral, une façon de réparer la vie. Pascal a extrêmement bien saisi cette maladie et la façon de l'aborder en se défiant de toute idée de performance. Je ne crois pas à la performance au cinéma, je crois à la vérité. Je ne crois pas que la vérité passe par la performance. Je sais qu'on est parfois trop impressionné par ce qu'on appelle les "performances d'acteur", mais moi, j'ai toujours cherché avec eux un travail qui ne se voit pas. Et même pour ce rôle, et quand bien même on peut être impressionné par la prestation de Pascal, on n'a jamais été dans le spectaculaire.

Et de l'autre côté, il y a les personnages de Léa Seydoux et de Melvil Poupaud, qui vivent cet amour naissant. Dans la façon dont vous mettez en scène leur relation, leurs discussions, on retrouve beaucoup d'Eric Rohmer, une influence qui se voit aussi dans la présence de Melvil Poupaud et de Pascal Greggory, qui ont tous les deux joué pour lui.

M.H.L : Quand j'écris un film, je ne tourne pas vers les cinéastes que j'admire en me disant "tiens, si j'allais piocher chez lui". Quand j'écris, j'essaie plutôt de me couper de toutes mes références, mais par contre, oui, le cinéma de Rohmer est peut-être celui qui m'a le plus accompagné depuis 20 ans. Il y a quelque chose dans la clarté et la légèreté de son écriture qui touche un point très sensible chez moi. J'ai une très grande admiration pour ce cinéma. Et puis en plus, il montre un monde qui est assez proche du mien. Donc, il me parle d'autant plus. Mais ce n'est pas pour ça que j'ai choisi Pascal et Melvil. J'ai eu la chance d'écrire un film dans lequel il y avait deux rôles qui me semblaient leur correspondre parfaitement, j'ai saisi l'occasion de travailler avec eux. Ça faisait très longtemps que j'en avais envie de travailler et ça ne s'était pas présenté. J'ai écrit le scénario en pensant à eux.

Justement, un des grands points communs de votre film et de la plupart de ceux de Rohmer, c'est qu'à la fin, on ne sait pas si c'est un film triste pour un film heureux. Vous avez pu trancher cette question ?

M.H.L : Non. Et justement, Rohmer fait dire à un de ses personnages : "C'est la variété de la vie qui me réconforte". Et j'évoque souvent cette citation parce qu'elle m'accompagne sans cesse. Je crois qu'on ne peut pas trancher. Je ne peux pas regarder uniquement le bonheur dans l'existence, j'aurais l'impression de mentir à moi-même. Et si je regarde que le malheur, j'ai aussi l'impression de me mentir, je pense que la vie est faite des deux. Ça m'intéressait d'essayer de nouer une sorte de dialogue silencieux. Léa ne parle pas à son père de son compagnon et parle très peu à son compagnon de son père, ces histoires sont parallèles. Mais en même temps, elles sont fondamentalement niées, parce que si ça se trouve, c'est la maladie de son père qui précipite Léa dans les bras de ce garçon. Ça raconte le besoin de se sentir vivante, de retrouver son corps, tout simplement. Et il y a une cruauté là-dedans, parce que ça raconte le deuil de son père. Pour se sentir vivante, elle a besoin de s'éloigner de son père et de trouver l'amour auprès d'un autre homme. C'est aussi une façon de l'abandonner à sa maladie, ce qui a quelque chose de cruel. Donc, il y a un tiraillement entre le désir de rester avec ceux qui partent, puis le désir de vivre. Je crois que le film parle de ça.

Comment vos expériences à l'étranger vous ont enrichie en tant que cinéaste ?

M.H.L : C'est vraiment ce qui me porte le plus pour tout vous dire. Parce que vous vous rendez compte que vous pouvez croire à une forme d'universalité du cinéma. J'ai la chance que mes films sortent beaucoup à l'étranger et j'essaie de les accompagner parce que ce sont des moments qui me donnent beaucoup de force et de l'élan d'un film à l'autre.

Vous seriez tentée par une carrière à l'étranger ?

M.H.L : Ce n'est pas une fin en soi. Ce n'est pas parce que vous êtes aimé ou un étranger que vous, il faut faire des films en anglais, par exemple. Un beau matin est mon film qui s'est le plus vendu partout dans le monde. Ce n'est pas parce que vos films ont du succès ou de la reconnaissance à l'étranger qu'il faut courir après ça. En revanche, ça me permet de ne pas me sentir enfermée dans un territoire.

Et en parlant de votre rayonnement à l'étranger, vous avez révélé avoir été approchée pour réaliser Black Widow, pour Marvel, qui pourtant diffère complètement de votre style et des histoires que vous racontez.

M.H.L : Je ne sais pas dans quel contexte j'ai été amené à raconter ça, mais c'est arrivé il y a quelques années. Je n'en tire aucune gloire particulière. Je pense qu'ils ont dû approcher beaucoup de femmes cinéastes, ça correspond à un moment où les studios se posaient la question de faire plus de films avec des femmes. Il y a beaucoup d'opportunisme évidemment là-dedans. Et donc j'ai fait partie d'une liste de femmes qui ont été approchées pour ça, mais ça n'aurait pas marché.

Informations pratiques

Dates et Horaires
Du 5 octobre 2022 au 12 octobre 2022

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