Alexis Michalik, interview d'un conteur d'histoire

Par · Publié le 17 septembre 2016 à 0h19
Quand il ne prépare pas son prochain spectacle (qu’il écrit et met en scène), il tourne lui-même pour la télévision, le cinéma ou travaille à l’écriture de son premier roman, prochainement publié chez Albin Michel. Malgré un emploi du temps bien chargé mais rondement mené, Alexis Michalik, qui présente actuellement sa toute nouvelle création, Edmond, au Théâtre du Palais-Royal, prend le temps de boire un thé le long du canal de l’Ourcq, quartier où il a élu domicile et où il nous a donné rendez-vous.

Pour débuter cet entretien, peux-tu simplement me donner trois mots, pas forcément des adjectifs, qui te décrieraient ?

(il réfléchit). Faisons simple : Théâtre, Cinéma et Télé.

Plus jeune, tu as refusé une place au Conservatoire national. Qu’est-ce qui pousse un jeune acteur à refuser une telle opportunité ?

C’était il y a longtemps… Il y a 13 ans. A l’époque, j’avais déjà joué dans Roméo et Juliette monté par Irina Brook. Et au moment d'intégrer le Conservatoire, certaines choses ne m'ont pas plues : des méthodes de travail, mais aussi, certaines personnes. Je n'ai tout simplement pas eu envie d’arrêter de travailler pendant trois ans pour apprendre auprès de personnes dont la vision du théâtre n’était pas la mienne… Alors j’ai refusé et c’est là que j’ai commencé à mettre en scène. 

Parlons d'ailleurs d'Irina Brook et de Roméo et Juliette. Vous aviez notamment joué à Chaillot et les deux noms associés (Irina Brook/Chaillot) sont quand même une belle porte d’entrée au Théâtre Public. Aujourd’hui, tu as un nom dans le théâtre privé. Les hasards de la vie ?

Oui, les hasards de la vie… C’est aussi que nous avons joué pendant un an cette pièce et personne du théâtre public ne m’a proposé un rôle ou une audition, donc à partir de là…

Et quel souvenir gardes-tu de ton travail avec Irina Brook ?

Un super souvenir. C’est indéniablement elle qui m’a donné le goût de la mise en scène. Dans son travail, elle commence toujours une création par former une troupe. Durant la première partie du travail, on fait des jeux. On joue à la balle au prisonnier, on fait des impros, de la musique… Ensuite, on entre dans le texte véritablement. Elle prend des gens très différents, des acteurs, des danseurs, français ou non. Elle prend des individualités et forme une troupe hyper hétéroclite. A ce niveau-là, elle fonctionne complètement comme Peter Brook (son père, ndlr). Et elle est très ouverte aux diverses propositions des acteurs, rien n'est figé. Moi, je sortais du lycée, on m’avait appris qu’il y avait un texte, qu’il fallait le dire devant un public et parler fort. Tout à coup, j’ai découvert que tout était possible. Que si tu avais envie de prendre une guitare à la place d’une scène, c’était ok. Pour moi ça a été la découverte d’une certaine forme de mise en scène : s’emparer d’un texte, le tordre, le transformer et en faire ce qu’on veut.

Peu de temps après, tu as monté une pièce qui s’appelait R&J, une adaptation libre de Roméo et Juliette. Est-ce que c’était en quelque sorte ta réponse à ton travail précédent avec Irina Brook ?

Non pas vraiment. La réalité c’est que avant cela, j’avais monté Le Mariage de Figaro par amour du texte. J’avais envie de monter cette pièce en particulier et j’ai adoré ça. J’ai adoré être chef d’équipe, le fait de gérer les acteurs et d’amener une vision. Et comme mon travail a plu au public, j’ai continué. J'ai monté Une mégère à peu près apprivoisée et une pièce contemporaine, qui m’a appris que je n’avais pas forcément envie de travailler sur des auteurs vivants autres que moi-même. R&J est venu après. On voulait le monter à trois acteurs, et on s’est demandé quelle était la pièce la plus connue du monde qu’on pourrait monter à trois acteurs. Roméo et Juliette tombait sous le sens. Vu que je connaissais déjà bien la pièce, j’ai rapidement su ce que je voulais en faire, ce que je pouvais couper, etc. Finalement, je me suis assez vite détaché de l’héritage Irina tout en étant empreint de comment j’avais travaillé avec elle. C'était devenu ma marque de fabrique : prendre un classique et le revisiter. A tel point que je ne croyais pas vraiment au théâtre contemporain. J’étais persuadé que les auteurs classiques avaient déjà tout écrit. Puis j’ai découvert Wajdi Mouawad. J’ai découvert qu’on pouvait, aujourd’hui, faire quelque chose de Shakespearien, qui peut raconter une histoire très forte en dépassant les époques tout en étant ancré dans le réel. 

Au regard de ton parcours, on y découvre aussi bien de la mise en scène que de la réalisation, du cinéma, du théâtre et des séries télévisées, de l’écriture… Quel regard portes-tu sur cette diversité ?

J’aime bien tout faire. Pour moi, dans la vie, les gens très heureux sont ceux qui n’ont pas de frustration et dans ce métier, il y en a souvent. Les grands acteurs de théâtre aimeraient faire du cinéma, ceux du cinéma ont la frustration de ne pas être considéré au théâtre… Moi j’ai la chance de pouvoir jouer un peu sur tous les tableaux et qui plus est dans des projets de qualité. 

Tes deux pièces précédentes, Le porteur d’histoire et Le cercle des illusionnistes, ont chacune été récompensées par des Molières. En réalité, dans ta vie de créateur, qu’est-ce que ça change ? 

Sur le coup, c’est super. J’adore les cérémonies et tout le monde a rêvé de recevoir un prix comme celui là. Mais en réalité, les spectacles marchaient déjà très bien avant ça. Mais c’est plus facile pour les tournées, pour vendre des dates, c’est pas mal sur une affiche… Moi, ça me caractérise tout de suite dans une interview. Je suis devenu « le mec aux deux Molières ». Vis à vis du milieu, ca m’a fait entrer dans une certaine catégorie… Mais c’est génial, je ne m’y attendais pas, tout a été très vite.  Il y a des gens qui sont nommés cinq fois sans jamais rien gagner, et moi j’ai tout gagné la première année !

Est-ce que ça a été un stress en plus pour ta nouvelle création, Edmond ?

Non, le stress ne vient pas de là. Dans mon travail, le stress vient quand je ne suis pas sur de ma pièce. Je suis assez objectif sur ce que je fais, alors je vois tout de suite ce qui ne fonctionne pas. Par exemple, pour Le cercle des Illusionnistes, j’étais beaucoup plus stressé que pour Edmond. Quand je lisais le texte, je ne le trouvais pas bon, je trouvais que quelque chose n’allait pas. Finalement, il a beaucoup été changé au cours des répétitions, et c’est vraiment à la générale que j’ai pu souffler. Là pour Edmond, je suis plus confiant, le texte est plus solide.

Quand j’ai assisté aussi bien au Porteur d’histoire qu’au Cercle des Illusionnistes, j’ai eu la sensation d’être une petite fille à qui on raconte une histoire, des étoiles pleins les yeux. Est-ce que tu étais le genre de petit garçon à l’école qui passait son temps à écrire, raconter des histoires ? 

Non et justement ! Je pense que j’ai toujours eu des choses à dire et qu’on ne m’écoutait pas beaucoup. J’ai grandi dans une famille où il faut s’imposer pour parler et certains gamins étaient beaucoup plus drôles que moi… Donc non, je n’étais pas le petit rigolo, je n’étais pas celui qui faisait marrer la bande. Et vu que personne dans mon entourage ne me disait que ce que j’écrivais était particulièrement bien, je n’y croyais pas trop. Je ne pensais pas que l’écriture puisse devenir autre chose qu’un hobbie, même si ado déjà j’écrivais des petits romans, des scénarios, pour le plaisir. Quand Le Porteur d’histoire a commencé à fonctionner, ça a été une surprise et un bonheur. J’ai compris que je pouvais avoir une place, qu’elle était légitime et que certaines personnes peuvent être intéressées par ce que j’avais à raconter.

Ce côté fait d'illusions, de mystères, d’intrigues et de féérie qu’on retrouvait dans les pièces précédentes, le retrouve-t-on également dans Edmond ?

C'est différent. Les deux précédentes étaient marquées par une écriture éclatée et différentes époques qui s’entre-mêlent. Tout ça, ce sont des choses qu’on a peu l’habitude de voir, où alors chez Simon McBurney et ses narrations éclatées, chez Wajdi Mouawad et son écriture très « épopée » où beaucoup de choses se passent dans le passé, les torsions d’espace temps empruntées au cinéma, chez Iñárritu notamment. Ajoutez à ça une logique de théâtre privé avec un spectacle qui dure 1h30 et des "cut" entre chaque scène comme au cinéma (pas de décor unique, par exemple) et pas de baisse de rythme, pour éviter l’ennui. Tout ça, ça sera évidemment dans Edmond puisque c’est ma manière à moi de raconter quelque chose. Cependant, ce n’est pas une pièce aux époques éclatées, c’est plus traditionnel, en costume, en 1897…

Comment parlerais-tu d'Edmond, en quelques mots, sans naturellement rien en dévoiler du spectacle ?

Ca parle d’un mec qui est entrain d’écrire Cyrano de Bergerac. Tout le challenge était de mettre Cyrano dans Edmond. Comment intégrer l’esprit et l’émotion qu’on ressent en voyant Cyrano dans sa propre écriture. A la base, je voulais faire d’Edmond un film. J’avais le scénario en tête depuis 5 ans, et puis, j’ai vu, à Londres, la pièce faite à partir du film Shakespeare in Love. Je me suis rendu compte que la seule chose dommage dans cette pièce, c’est qu’on connaissait déjà le film. A l’inverse, le problème n’aurait pas existé : il n’est pas embêtant de tirer un film d’une pièce de théâtre. J’ai donc décidé de faire Edmond une pièce. Et un jour, l'idée serait d'en faire du cinéma...

Si tu devais en choisir un : Philippe Torreton ou Gérard Depardieu ?

C’est difficile de choisir. Les deux sont tops. Mais il y en a d’autres, Vuillermoz notamment… Mais moi, je créé mon propre Cyrano.

Si tu devais citer quelques souvenirs de théâtre en particulier ?

Je me souviens de Declan Denollan aux Bouffes du Nord, qui jouait Comme il vous plaira qu'avec des hommes, Mnemonic de Simon McBurney, fondateur pour moi et dans ma vision des choses. La Nuit de Mouawad dans La cour d’honneur à Avignon, de Forêts à Malakoff… Et de comédies musicales, j’aime beaucoup les comédies musicales. A Londres, West Side Story au Châtelet… Et Le Costume de Peter Brook aux Bouffes du Nord, Le Mariage de Figaro de Sivadier à Nanterre… Mes parents m’ont donné une super éducation théâtrale, et globalement, j’ai retenu dans le théâtre subventionné les pièces les plus narratives, fondatrices de ma vision actuelle du théâtre.

Et finalement, qu’est ce que tu aimes dans le théâtre privé ?

Tout est un peu plus simple. Et j’aime que le spectacle puisse être programmé pendant plus longtemps que prévu si il fonctionne. Mais évidemment, si demain, l’Odéon m’appelle, je ne dirai pas non !

Pour finir cette interview, et vu que nous sommes actuellement à deux pas de la Villette, est-ce que tu es déjà allé à La Philarmonie ?

Pas encore. J’ai offert des billets à tout le monde, mais moi, je n’y suis pas encore allé ! Mais j’ai hâte.

Le dernier concert que tu as vu au Zénith ?

Manque de pot, je ne suis pas très concert… Je vais beaucoup au cinoche, je vais évidemment beaucoup au théâtre, mais pas très concert… Je ne crois pas être déjà allé au Zenith, d’ailleurs.

Alors parlons plutôt cinéma. Si tu devais décider de la programmation du Cinéma en plein air de l’été, quels films tu y mettrais ?

West Side Story, parce que je l’ai vu là-bas et c’était super… Et mes films préférés ! American Beauty, Le Dictateur de Chaplin, To be or not to be de Lubitsch, Chantons sous la pluie, Amélie Poulain, Irréversible

 

Infos pratiques :

Edmond, au Théâtre du Palais Royal, du 15 septembre au 30 novembre 2016.

Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h30.

Tarifs : de 17 à 60€

Réservations : 01 42 97 59 46

 

Copyright image : Chloé Bonnard

 

Informations pratiques
Mots-clés : alexis michalik, edmond
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