Compte tes blessures : interview de Morgan Simon

Par · Publié le 30 janvier 2017 à 16h36
Rencontre avec Morgan Simon, le réalisateur du très beau long métrage Compte tes blessures, en salles depuis le 25 janvier 2017.

Après s'être fait la main sur quelques courts métrages, Morgan Simon accouche de Compte tes blessures - un premier long métrage intense et prometteur au casting trois étoiles (Kévin Azaïs, Monia Chokri et Nathan Willcoks). Portrait d'un jeune talent émergeant, qui s'était d'abord destiné à la biologie avant de plonger tête la première dans le monde du cinéma. 
 

Racontez-moi un peu votre parcours. Pourquoi avoir choisi de disséquer le coeur des hommes au cinéma plutôt que des grenouilles dans un laboratoire ?

Je ne suis pas forcément de ceux qui s'intéressent le plus aux sentiments dans la vie, je ne suis pas quelqu'un qui analyse ces choses-là. J'ai beaucoup de mal à mettre des mots sur les émotions, et le fait de faire des films m'aide à comprendre ce que je ressens et ce que les autres ressentent - ça me rapproche d'eux dans la vraie vie. 

A la base, j'ai fait des études scientifiques. Je ne me suis pas forcément intéressé au cinéma jusqu'à l'âge de 20 ans - j'allais au cinéma une fois ou deux par an maximum. Mais après la biologie, j'ai entamé un cursus de communication où un prof nous a demandé de réaliser des films. J'y ai pris goût, et il y avait beaucoup de soutien dans la classe - d'ailleurs, pas mal d'amis de ce cursus étaient là à l'avant-première de Compte tes blessures.
 

Vous avez réalisé plusieurs courts métrages avant Compte tes Blessures. Les voyez-vous comme des ébauches, des étapes nécessaires pour parvenir à réaliser un long métrage ? 

Je pense que chaque film prépare le suivant, et qu'en même temps, chaque film se suffit à lui-même. Je ne les vois pas comme des ébauches, car chaque projet amène à une réflexion plus profonde sur la suite, consciemment ou inconsciemment. Après, j'ai effectivement approfondi le rapport père-fils dans Essaie de mourir jeune, même si cette relation n'était pas la même que celle de Vincent (Kévin Azaïs) et Hervé (Nathan Willcocks). C'était une sorte de préparation à Compte tes blessures
 

Vous dites qu'"on montre beaucoup de soi quand on réalise un film". Compte tes blessures est-il une version romancée de votre propre jeunesse ? Comment la fiction s'y est-elle mêlée ?

Je pense que les films racontent beaucoup de nous sans qu'on puisse y faire grand chose. C'est difficile de s'en rendre compte sur le coup, mais c'est un peu plus tard - quand tu as changé - que tu revois le film que tu as fait, que tu comprends qui tu étais à ce moment-là. Je comprendrai sans doute mieux ce film en le revoyant dans un an, quand je serai passé à autre chose. 

Mais il y a effectivement quelque chose de très personnel dans le thème de l'incommunicabilité, et tous les personnages ont une part de moi. Je m'identifie forcément plus à Vincent, le personnage principal, mais je comprends aussi le père, tout comme Julia ou les potes de Vincent. A partir de ces choses qui font partie de nous, on exacerbe pour aller plus loin, au cinéma.

Compte tes blessures : critique et bande-annonceCompte tes blessures : critique et bande-annonceCompte tes blessures : critique et bande-annonceCompte tes blessures : critique et bande-annonce
 

Vous ne portez aucun jugement sur vos personnages, ne prenez jamais aucun parti.

Je n'impose aucune morale inutile, et ne porte volontairement aucun jugement sur eux. Chacun a ses raisons d'agir comme ça. Le père s'énerve, mais 5 ans plus tôt ou 5 ans plus tard, il n'aurait peut-être pas réagi de la même manière. Tout ce qu'il se passe dans sa vie fait qu'à ce moment précis, il ne peut pas faire autrement - il est incapable de faire un geste vers son fils. 
 

L'histoire de Compte tes blessures semble avoir été taillée pour vos trois acteurs. Pensiez-vous déjà à Kévin Azaïs, Nathan Willcocks et Monia Chokri au moment d'écrire votre scénario ? 

J'ai écrit le rôle du père pour Nathan Willcocks, avec lequel j'ai beaucoup travaillé. J'ai découvert Kévin Azaïs après, mais c'était lui que je cherchais. Il avait ce côté enfantin, à fleur de peau et en même temps très mature. Et Monia Chokri est apparue assez vite comme une évidence. J'ai fait très peu de casting. Je l'avais vue dans les Amours Imaginaires, et j'avais aussi vu son premier court métrage (Quelqu'un d'extraordinaire) qui m'avait donné très envie de la rencontrer.
 

Vous avez opté pour un univers très réaliste, plutôt brut et peu stylisé. Est-ce pour vous concentrer davantage sur les personnages, privilégier les gros plans et l'intensité des sentiments ? 

Le film se concentre surtout sur les personnages, mais beaucoup des images restent stylisées - que ce soit pendant les scènes de concert, ou sous la douche. Même s'il y a des scènes un peu plus brutes, caméra à l'épaule, j'ai essayé de travailler beaucoup l'image, de mettre de la couleur dans le film ; j'ai fait en sorte que la vision que l'on peut avoir des HLM ne soit pas un truc gris, où les gens ne font que passer. Et rien que ces détails, ça représente déjà une direction artistique appuyée. 
Après, le jeu des acteurs très spontané, très incarné, crée un effet de réel, il me semble. J'ai choisi de filmer leurs pensées, ce qui se dégage d'eux. En gros plan, les regards prennent une force.
 

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Quel(s) rôle(s) jouent les scènes de concert et la musique alternative en général dans le récit ?

La musique est l'exutoire du personnage principal, elle lui sert à exprimer des choses qu'il ne peut pas dire chez lui, par exemple. Le film tourne autour de cette double facette : Vincent chez lui face à son père, et Vincent en leader face à ses potes et sur scène. La musique, c'est son lieu d'expression. Elle n'est pas du tout vécue comme un truc de bourrin, mais plutôt comme quelque chose de vital, de nécessaire au personnage, de sensible et même d'intelligent. 


Et les tatouages ? 

Les tatouages sont aussi des codes dans ces milieux-là. Dans le film, les tatouages les plus visibles de Vincent sont les visages de ses parents. Ce sont des déclarations d'amour. Et pareil pour la musique : même si elle peut sembler violente, elle est en fait pleine de douceur. 


Selon vous, à partir de quel moment Hervé (le père) prend-il conscience de l'attirance mutuelle de Julia et Vincent (son fils) ? Est-ce pendant la scène d'humiliation lors du repas (le fameux homard) ?

Pour moi, c'est un peu plus tard. Il sent qu'il y a un rapprochement, mais là où ça lui pose vraiment problème, c'est quand Vincent invite Julia à son concert. Il sent que quelque chose est en train de se passer. Et en tant que spectateur, on en sait plus que lui.

Le moment qui est très clair pour moi, c'est le moment où le père évoque De Gaulle ("je ne suis pas aveugle"). Après ça, le père et le fils vont essayer de communiquer par des jeux complètement indirects. Ce qui me plaît, c'est que les personnages ne parlent jamais du coeur du problème - ils sont incapables de le mettre en mots. Ca nous ramène un peu à notre difficulté à communiquer dans la vie ; on n'ose pas forcément dire les choses et on passe par des moyens complètement absurdes ou détournés. 
 

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Comment décririez-vous la toute-fin du film, du point de vue de l'intrigue ?

Pour moi, quand le père tient le fils par la main, c'est son tout premier geste d'amour. Il le retient, c'est une façon de lui dire qu'il l'aime. Finalement, le film est l'histoire de leur séparation. Pour que Vincent grandisse, il doit partir de chez lui. Après ce qu'il s'est passé, Julia disparaitra de leur vie et ils ne pourront probablement pas se reparler tout de suite ; tout est allé beaucoup trop loin pour que les personnages puissent sortir indemnes de cette histoire.
 

La scène de fin - dans le lit du père - est sans doute la plus périlleuse. Comment avez-vous posé ses limites pour ne pas faire basculer le film vers quelque chose de malsain ?

Déjà, cette scène a été tournée l'avant-dernier jour de tournage. On a essayé de tourner un maximum dans l'ordre, par blocs narratifs. Cette scène est donc nourrie de tout ce qu'il s'est passé avant, de tout le travail qu'on a fait. Tout est dans l'air. On a essayé de faire simplement, sincèrement, d'être le plus juste et le plus respectueux possible, pour aller chercher les détails qui vont rendre cette scène un peu chimérique, mais en même temps bien réelle.
C'est une forme d'équilibre à trouver. Mais je fonctionne beaucoup à l'instinct, je parle avec les acteurs, on va changer en permanence ce qu'on est en train de faire. On cherche la vérité, on essaye, on voit ce qu'il se passe, on réadapte. Je pense que le film devait aller jusque là, sinon, il aurait manqué quelque chose. 
 

Quand vous voyez le film aujourd'hui, quelle est la scène dont vous êtes le plus satisfait ?

Je pense que cette scène-là est celle dont je suis le plus satisfait. Si cette scène n'avait pas marché, rien n'aurait marché dans le film. Je suis heureux qu'elle fonctionne, qu'elle fasse parler, qu'elle pose question. Mais je trouve que c'est une très belle scène et j'en suis fier. 
 

Avez-vous d'autres projets de court/long métrage ? Un nouveau thème qui vous tient à coeur à explorer ?

J'aimerais bien parler d'amour. De quelque chose de léger, de plus coloré. Dans Compte tes blessures, il y a un côté un peu cathartique pour le personnage (et pour moi), le film est mûr et réel, il n'est pas dans une vision édulcorée de la vie. Je voudrais quelque chose de doux et profond, qui raconte vraiment des choses dans l'intimité. 
 

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Compte tes blessures, en salles depuis le 25 février 2017

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