Les Rascals : « Un film coup de poing ? Je dirais plutôt que c'est un film TGV ! »

Par Nathanaël de Sortiraparis · Publié le 5 janvier 2023 à 12h09
A l'occasion de la sortie de son premier film, "Les Rascals", le 11 janvier, le cinéaste Jimmy Laporal-Trésor et ses comédiens, Missoum Slimani et Jonathan Feltre, se sont confiés à Sortiraparis sur le film.

Alors que le très réussi Les Rascals sort au cinéma le 11 janvier, son réalisateur, Jimmy Laporal-Trésor, ainsi que les deux comédiens principaux du film, Missoum Slimani et Jonathan Feltre, se sont confiés à Sortiraparis dans le cadre d'une interview passionnante. Au programme, cinéma de bande, montée de l'extrême droite et politique. 

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Avec "Les Rascals", le cinéaste Jimmy Laporal-Tresor ausculte avec brio la montée du fascisme en France dans les années 1980, à travers un film de bande, vaguement inspiré de "West Side Story". Sortie prévue le 11 janvier 2023. [Lire la suite]

Sortiraparis : On parle beaucoup dans son film coup de poing pour parler des Rascals. Qu'est-ce que vous pensez de cette appellation? 

Jimmy Laporal-Trésor : C'est un peu fourre tout. On utilise ce terme qu'on utilise pour beaucoup de films. Ça peut évoquer plein de choses, on dit ça quand le film a été une espèce de choc. Ou alors un film qui va venir bousculer les choses. Mais je ne suis pas vraiment sûr qu'on puisse se faire une image très précise de ce que c'est, quand on en parle de film coup de poing. Moi, je dirais plutôt que c'est un film TGV [rires] un bon TGV qui te rentre dans la tronche à 300 kilomètres heure. 

Et vous l'avez connue cette époque, celle des skins de Paris ?

J.L.T. : Ouais, mais gamin. En revanche, la peur qu'on avait du skinhead était vraiment palpable quand j'étais gamin. On disait : "Si tu croises un mec avec un bombers, tu cours !". On a vécu avec cette peur. Quand j'étais adolescent, c'est plutôt fin des années 90. C'était déjà la fin. Le gros, c'était entre 86 et 89. 

Et vous, Jonathan et Missoum, vous connaissiez ce groupe ?

Missoum Slimani : Evidemment qu'on était au fait de ce qui avait pu se passer à cette époque, même si on ne l'a pas du tout vécu. Mais oui, à titre personnel, je savais que s'il y avait des problèmes avec les skinheads. 

Jonathan Feltre : Moi, j'avais une méconnaissance de tout ça. Je connaissais un peu le courant néo-nazi, mais de loin. Toute cette histoire, tout ce contexte, j'avoue que j'ai découvert ça avec le film. 

Et même si vous ne connaissiez pas cette période, vous vous sentiez quand même proche de vos personnages ?

J.F. : Proches des valeurs qu'on incarne et qu'on défend totalement, oui. 

M.S. : Moi, personnellement, à la lecture du scénario, il y avait certains points où ce n'était pas le cas. Le rapport aux femmes des adolescents à l'époque. En 2023, ce sont des trucs qui ne passent plus évidemment, et heureusement. Mais on a forcément un point d'accroche avec son personnage pour pouvoir l'incarner le plus justement possible et ne pas venir juger son personnage. Je pense que même Victor Meutelet et Angelina Woreth, si ce sont des personnages extrêmement compliqués à incarner étant donné les valeurs qu'ils véhiculent, il faut trouver un point d'accroche, même le plus minime, pour pouvoir te raccrocher à ça et pouvoir te dire "j'incarne un humain, quoi". 

C'est ça qui est intéressant, justement, dans l'histoire. Il y a beaucoup de choses qui ont changé aujourd'hui par rapport à cette époque, mais d'un autre côté, pas tellement. 

J.L.T. : C'est vrai qu'on est 40 ans plus tard par rapport à ce qu'on relate comme faits dans le film. Et le constat est assez affligeant parce que 40 ans après, on est dans les mêmes questionnements. J'irais même jusqu'à dire que sur certains aspects, on a reculé. Dans le film, par exemple, tout ce qui est extrême droite, en termes d'élection, on est à onze pourcent. Dans le film, il y a une scène, on dit que c'est un peu une catastrophe, et on espère que ça s'arrêtera là. 40 ans plus tard, on a 90 députés et ce n'est même pas que c'est normal, mais on a presque envie de le fêter en sortant les feux d'artifice. C'est décomplexé. À l'époque, quand j'étais gamin, et même adolescent, jusqu'en 2002, les fameuses élections où Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour. C'était un peu marginalisé et surtout, pas bien vécu. C'est clair que c'était quelque chose de honteux, de voter pour le Front national. Et aujourd'hui, ce qui est honteux, c'est plutôt de se dire que j'aimerais juste avoir les mêmes droits que tout le monde. C'est bizarre comme époque.

La police en prend aussi beaucoup pour son grade dans le film, mais j'imagine que ce n'est pas juste celle de ces années là qui est remise en question.

J.L.T. : A cette époque, la relation avec la police est assez compliquée, déjà en règle générale. Et puis il y a eu des bavures liées à certaines ethnies, l'affaire Oussekine par exemple. On n'invente rien, le film se passe dans la même temporalité. On dit souvent que la police tue, mon propos n'est pas là. Il y a des policiers qui tuent. En revanche, ce qui est dérangeant avec la police, c'est que le premier réflexe qu'a l'institution, c'est de couvrir ce genre de bavure, au lieu de condamner fermement le comportement de certains policiers qui ne méritent pas l'uniforme. Pour moi, le vrai problème est là. Tant que l'institution policière a comme premier réflexe d'essayer de masquer ce qui ne va pas, la jeunesse et la société en général aura un problème avec la police. Pour moi, un policier, c'est un super citoyen parce qu'il a une arme. Il a une fonction, il représente l'État, il représente l'ordre et par ce que représente cette fonction, qui est noble, qui représente la République, il est censé être exemplaire. Il n'a pas droit à l'erreur.

J.F. : Quand quelque chose devient le bras armé d'une autre, dans un contexte politique, comme dans ces années là où il y a beaucoup de manifestations de part et d'autre, une certaine tension. Il y a l'émergence de certains partis politiques. L'extrême droite qui prend plus de place. À un moment donné, il y a des influences qui opèrent et ce bras armé est détourné de sa fonction.

Et dans le film, quand les choses commencent à s'envenimer, toute la bande des Rascals veut en découdre, sauf un, le seul "blanc" de la bande. C'est ça un détail hyper subtil, et si on n'y fait pas attention, on pourrait même ne pas s'en rendre compte, alors que c'est hyper parlant. 

J.F. : Effectivement, il y en a qui sont plus concernés, impactés par la situation, alors que d'autres, sont mieux installés socialement, avec une perspective d'avenir et qui, du coup, s'éloignent. On parle aussi de ça, sans venir pointer du doigt, juger, venir émettre une opinion et être radical. Mais venir mettre cette subtilité-là, effectivement, c'est montrer qu'il y a des choses déjà déterminées, un peu. 

J.L.T. : A hauteur d'humain, il y a aussi un effet de groupe. Il t'arrive une bricole, tu as envie d'en découdre, et ils ont tous envie d'en découdre tous autant qu'ils sont. Mais à un moment donné, il y a une arme qui rentre en jeu. On change de ligue. Ce n'est plus juste "on va tabasser des mecs pour se venger", mais on va sortir une arme, donc ça devient criminel. Et en vrai, c'est facile en tant que spectateur de se dire, c'est le petit blanc, comme par hasard. Mais en vrai, pose toi la question : toi, demain, tu es avec tes potes, il s'est passé une bricole, tu veux partir te venger, il y en a un qui sort un gun... ce n'est pas du tout la même chose.

M.S. : Et puis même, je pense que dans la narration, c'est quand même plus intéressant d'avoir un groupe qui, même en étant aussi soudé, peut faire face à des événements violents qui peuvent briser le groupe. Il n'y a pas un consensus de la part de tous les Rascals de se dire qu'on va aller se faire vengeance nous-mêmes. Donc, même au niveau purement scénaristique, je trouvais ça beaucoup plus intéressant qu'il y ait de la discorde, même au sein de gens aussi soudés normalement dans la vraie vie.

Ce qui est frappant aussi, c'est que malgré le fait que le film soit très français, il ait quand même beaucoup de références au cinéma américain. Pour dynamiter le drame français, il faut obligatoirement passer par cette américanisation ?

J.LT. : Je n'ai pas réfléchi comme ça. Je vais dire une banalité, mais tous les metteurs en scène marchent aussi avec leur bagage culturel. Et moi, je suis d'une génération biberonnée aux films hollywoodiens, mais pas que. Du coup, j'ai une espèce de pop culture de l'image qui est un pot-pourri aussi bien de grands films hollywoodiens des années 50, 60, 70, mais pas que. Si je dois citer des références pour le film, je dirais Tchao Pantin, et c'est bien français. Je peux citer aussi Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée, qui est un téléfilm allemand. Ce sont directement des références pour le film. Et en même temps, il y a quand même des trucs de la culture américaine. Parce que ce sont les seuls à avoir fait des films de bande. On n'a pas totalement ça en France et les grands films de bande, ce sont Les Seigneurs, Les Guerriers de la nuit, Outsiders. Et ça, c'est purement américain. Dans tout ça, il y a ma personnalité, mes références, que je vais chercher du côté de Zidi, du côté de Christiane F. Et après, il y a aussi des références de photos parce que je me suis vachement inspiré du travail de Saul Leiter, rien à voir avec du cinéma. Moi, je fais mon pot-pourri et... c'est moi.

J.F. : Après tout ce qui est de l'ordre de la matière un peu fictionnelle, il y a aussi la matière inspirée de faits réels, tout un travail d'archives qui a été fait. On a de la documentation et un travail d'archives sur ce qui s'est passé à ce moment-là et qui est aussi une source : des reportages INA sur des bandes, sur des mouvements skin, la différence entre le mouvement skin, le mouvement punk et le mouvement après skinhead. La bascule qui a opéré, et comment ces jeunes influencés de la culture skin importée de toute la société anglo-saxonne : l'Angleterre et l'écho des Etats-Unis. Cette documentation d'archives était aussi une base pour nous, comédiens. 

M.S. : Jimmy est un réalisateur qui a digéré ses influences et qu'il les a assumées pleinement. Et c'est parce qu'elles sont assumées que ça fonctionne très bien. Et en fait, déjà, à la lecture du scénario, il m'a tout de suite parlé, parce qu'en lisant cette histoire-là, j'ai tout de suite vu les références. Et quand je suis arrivé au casting, je me rappellerai toujours que j'ai tout de suite évoqué Les Seigneurs comme référence. Donc il parle aussi à un imaginaire collectif, de films, de bandes de cette époque-là et c'est pour ça que pour moi, c'est réussi. 

Et justement pour ces références, y a-t-il des films que vous avez recommandé aux acteurs de voir avant le tournage ?

M.S. : Il y avait un listing de films et documentaires à avoir. Il y avait Les Seigneurs, Outsiders, Rusty James et Les Guerriers de la nuit. Les classiques, les quatre grosses références. 

J.L.T. : ...Qui collent plus aussi à l'esprit du film. Parce que j'avais d'autres références de films de bande, mais qui ne collent plus du tout à l'ambiance qu'on décrit dans le film. 

J.F. : Après, sur du plus spécifique, je sais que le personnage principal incarné par Marlon Brando dans Sur les quais, d'Elia Kazan, a été une référence. Mais là, dans du spécifique, pour essayer, non pas de s'inspirer, mais de voir ce que peut-être un environnement très fort, un personnage caractérisé avec des enjeux assez forts, de la subtilité.

Il y a beaucoup de jeunes acteurs dans le film, beaucoup de nouvelles têtes alors que c'est votre premier film. Qu'aimeriez-vous dire à tous ces acteurs qui vous ont suivi ?

J.L.T. : Merci de m'avoir fait confiance parce que franchement, sur le papier, ce n'est pas évident de se dire que tu vas partir sur un premier film d'époque, sur un sujet un peu casse-gueule, avec des scènes d'action assez ambitieuses, des cascades, de la danse, de la baston, et que le mec a jamais rien fait avant. Franchement bravo ! Je ne sais pas si j'y serais allé à votre place. Les rôles sont compliqués, pour Angelina, c'est dur de partir sur un rôle féminin aussi ambivalent. Pareil pour Victor Meutelet, qui a plutôt l'habitude des rôles de gendre idéal. Ce n'est pas simple de faire le pari de faire ce premier film avec ce mec qui a tout à prouver. Donc merci.

J.F. : Merci à toi ! Nous aussi, on voit quelque chose assez inédit finalement. Moi-même, en tant que comédien caractérisé par ma couleur de peau, je peux dire que, déjà dans le synopsis, puis à la lecture du scénario, on voit autre chose. On voit aussi des rôles dépeints avec de la complexité, avec des contradictions, mais qui rentrent dans un même paradigme : d'être face à des partitions qu'on sent humaines et on se reconnaît.

J.L.T. : Pour ton personnage, il y a même du déracinement : C'est quoi d'être extirpé de son milieu originel ? Il vient des Antilles. C'est un sujet qu'on voit peut-être, qu'on a pu voir, pour d'autres communautés, mais pas la communauté antillaise. Il n'y a jamais eu de sujet qui traite de ce déracinement. 

M.S. : souvent, on demande aux acteurs et aux actrices avec quel grand réalisateur vous aimeriez tourner, etc. Évidemment qu'il y a des références avec qui on adorerait tourner. Mais je trouve que ce qu'il y avait d'extrêmement intéressant est ce qui m'a plu, c'est de se dire qu'on peut assister à la naissance d'un auteur et de participer à ce départ. Voir ces nouvelles têtes émerger, etc. C'est extrêmement riche et ça crée une sorte de symbiose, même sur le projet puisqu'en fait, on était tous plus ou moins débutants, débutantes. Et le fait d'avoir aussi un réalisateur pour qui c'est le premier long-métrage, ça crée vraiment une énergie de plateau, avec une vraie envie de se dire "les gars, c'est le premier, on y va, on va tous au front en même temps", et ça crée une énergie de malade. Donc c'est d'autant plus excitant de travailler avec des gens qui n'ont pas encore montré ce qu'ils avaient dans le ventre. 

J.L.T. : On avait tout à prouver. Il y avait ce truc de dire qu'on n'aura peut-être pas de seconde chance. Donc si on fait un seul film, il faut qu'on le fasse bien. 

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