Après des mois de tractations et d'incertitudes, la Maison des Mondes Africains pose enfin ses valises dans le 10e arrondissement. Ce nouveau lieu culturel parisien ouvre ses portes ce samedi 4 octobre 2025 dans un ancien atelier de haute-couture de 800 m² sur trois étages, à deux pas de la station Goncourt et du canal Saint-Martin. Voulu en 2021 par l'Elysée lors du Sommet Afrique-France à Montpellier, le projet devient réalité après un parcours semé d'embûches. "On va pouvoir enfin déployer ce qui était dans nos têtes", se réjouit Liz Gomis, directrice du lieu.
Cette installation dans un espace éphémère pour 24 mois marque une étape importante. "Il s'agira d'une préfiguration mais pas de la maison en tant que telle", précise la directrice à Libération. Le gouvernement souhaite en effet doter MansA d'un site pérenne d'ici 2027. En attendant, ce centre pluridisciplinaire s'inscrit dans un territoire culturel en pleine ébullition, juste à côté du Transfo, l'espace d'art d'Emmaüs Solidarité, et à portée de rumeur des apéros du canal Saint-Martin.
Le nom MansA joue sur deux références : mansio, qui signifie "habitation" en latin, et Mansa Moussa, le souverain malien du XIVe siècle. Financé à hauteur de 9 millions d'euros par le ministère des affaires étrangères et celui de la culture, ce lieu hybride se positionne comme une vitrine pour les artistes, une tribune pour des débats sans filtre et un tremplin pour les jeunes entrepreneurs afro-descendants.
L'origine du projet remonte à 2021, quand l'historien et philosophe camerounais Achille Mbembe remet un rapport à Emmanuel Macron. Il y préconise la création d'un centre culturel sur le modèle de l'Institut du Monde arabe, dans la perspective d'améliorer les relations de la France avec l'Afrique et de créer une scène dédiée à la création contemporaine africaine. Le ministère de la Culture s'associe alors au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour concrétiser ce projet.
Dans le projet de loi de finances de 2023, le gouvernement réaffirme sa volonté de créer ce lieu, à la fois "physique et virtuel", tout en précisant que "plusieurs lieux d'implantation" restent "à l'étude". S'ensuit une longue quête immobilière à travers Paris. Un bâtiment au sein de la fondation Cartier est temporairement envisagé, comme le révèle Le Monde en janvier 2024. Puis en avril, changement de cap : le lieu devrait élire domicile à la Monnaie de Paris, dans le fastueux bâtiment du quai de Conti.
Seulement, Matignon décide de cette installation sans véritablement consulter les salariés du lieu. La protestation est immédiate. Rodolphe Krempp, délégué syndical CFE-CGC, martèle qu'"il n'y a aucune synergie entre les deux institutions". D'autres soulignent que l'institution monétaire, autofinancée en grande partie grâce à la location de ses salles, risque d'être mise en péril. La polémique rebondit aussi côté politique, avec des conseillers municipaux communistes inquiets pour l'avenir de la Monnaie. Finalement, l'hypothèse est abandonnée début 2025, et la recherche reprend pour aboutir à cet ancien atelier du 10e.
Pour son baptême du feu, MansA mise sur la relève plutôt que sur des têtes d'affiche. L'exposition "Noires" de Roxane Mbanga, 29 ans, artiste française née d'un père camerounais et d'une mère guadeloupéenne, investit les lieux du 3 au 26 octobre 2025. "C'est le signal qu'on est sur les voix émergentes qu'on veut accompagner et avec lesquelles on veut grandir", explicite Liz Gomis. "Roxane est la bonne personne à qui confier les clés : elle est douce, gracieuse, apaisante. Elle donne envie de rentrer. L'exposition s'appelle 'Noires', mais ce n'est que joie et couleur."
Un couloir éclatant de papiers peints fluo accueille les visiteurs, mêlant paysages de la Guadeloupe et de Ouidah au Bénin, scènes de rue au Congo où des mains de femmes tressent des cheveux. Ce passage coloré mène à un salon où Roxane Mbanga sera présente tout au long de l'exposition pour recevoir le public. "'Noires', c'est un projet commencé en 2019, une maison rêvée, qui voyage d'espace en espace, de ville en ville, et s'agrandit au fur et à mesure", raconte l'artiste, qui avait déjà exposé une première version en 2024 à la Fondation H à Paris. Elle a pensé cet espace comme un lieu d'hospitalité pour "les personnes qui lui ressemblent, qui ont pu vivre ou subir des manques". Le Grand Salon devient ainsi une maison-monde habitée par les voix, les silences et les mémoires.
Si l'exposition est gratuite, il faut penser à réserver son créneau gratuit en amont.
La directrice l'assure : l'institution veut "décloisonner, faire de la culture pour tous, parler de colonial et de décolonial dans un lieu hybride". "Ce n'est pas un musée pour et sur l'Afrique, mais un lieu ouvert, pour toute la population", souligne-t-elle. La programmation se veut dense et transdisciplinaire.
Le ciné-club CinéMansA propose des projections suivies de rencontres avec cinéastes, chercheurs et critiques. Au programme cette saison : Burning an Illusion (1981), Freda (2022), Perfect Images (1981), Grey Area (1982), A Deusa Negra (1978), une rétrospective Samuel Suffren, Elsie Haas (1985) et Zatrap (1978). Le documentaire Un Indien dans la ville, qui suit Smaïl Kanouté de Paris à La Nouvelle-Orléans sur les traces des Black Indians, illustre cette approche mêlant mémoire et création contemporaine.
La musique occupe une place centrale avec des focus sur le Highlife du Ghana, le rock sahélien, le Soukouss du Congo, le Makossa camerounais, le Raï et les musiques caribéennes de Guadeloupe et Martinique. Des artistes comme Mélissa Laveaux (Canada/Haïti) et Nyokabi Kariuki (Kenya) animeront des "Veillées sonores", ces moments d'écoute et de partage musical qui promettent de transformer les soirées parisiennes.
Des collaborations sont prévues avec diverses institutions culturelles dont le Centre Pompidou, notamment pour la restauration de films de la réalisatrice Sarah Maldoror. L'institution a également prévu des échanges à l'international, "avec le Brésil et le Nigeria", précise Liz Gomis. Un nouveau magazine est en préparation, "avec des sujets de fond et des plumes venant de l'international", détaille la directrice. Des "programmes de médiation à destination des plus jeunes" sont aussi en projet.
Le lieu accueille par ailleurs le MansA Lab, un incubateur dédié aux industries culturelles et créatives. Le jury se réunira le 7 octobre pour sélectionner les 12 projets de la première promotion. L'incubation débutera en novembre 2025 pour 8 mois d'accompagnement à MansA et en ligne. Ce dispositif s'adresse aux porteurs de projets qui racontent les mondes africains, qu'ils soient artistes, entrepreneurs culturels, designers ou penseurs.
MansA se veut aussi un réseau fédérant des institutions partenaires à travers le monde et une plateforme média valorisant les initiatives artistiques, culturelles, scientifiques ou entrepreneuriales. Le lieu accueille des débats, des performances, des conférences, des archives et des artistes en résidence. Les arts plastiques y côtoient le livre, le dessin, la musique, le spectacle vivant, le cinéma, la photographie et l'apprentissage des langues africaines. Cette première saison s'annonce riche en découvertes pour tous ceux qui souhaitent explorer les expressions contemporaines des mondes africains. Les informations pratiques, horaires d'ouverture et programmation complète sont disponibles sur le site officiel de MansA.
Lieu
MansA, la Maison des Mondes Africains à Paris
26 Rue Jacques Louvel-Tessier
75010 Paris 10
Âge recommandé
Tout public
Site officiel
www.instagram.com
Réservations
www.billetweb.fr















