Un nom, une date, une pierre… et tout un pan d’histoire oublié ! C’est entre les n°11 et 13 de la place des Vosges, dans le 4e arrondissement de Paris, que se trouve le plus vieux graffiti connu de la capitale. On peut y lire l’inscription « 1764 NICOLAS », gravée à même la pierre sur l’arcade extérieure d’un pilier. Réalisée à la main au XVIIIe siècle, cette épigraphe est attribuée à l’écrivain Nicolas-Edme Restif de la Bretonne, typographe et flâneur notoire, auteur notamment des Nuits de Paris.
Ce témoignage insolite date de l’époque où la place des Vosges portait encore le nom de place Royale. Construite en 1605, elle est aujourd’hui l’une des plus anciennes places de Paris, connue pour ses arcades régulières, ses façades de briques rouges et ses galeries ombragées. L’inscription discrète passe facilement inaperçue parmi les pierres anciennes, bien que des centaines de personnes la croisent chaque jour.
Né en 1734 dans une famille paysanne de l’Yonne, Restif de la Bretonne s’installe à Paris à 25 ans pour exercer le métier de typographe à l’Imprimerie Royale. Parallèlement à ses travaux d’écriture – souvent inspirés de ses propres expériences –, il développe une pratique singulière : la gravure de messages personnels dans la pierre des rues parisiennes. Il utilisait pour cela des clés et des fers, traçant discrètement des dates ou des pensées sur les murs de la ville.
Dans son journal Mes inscriptions, rédigé dans les années 1780 et retrouvé aux Archives de la Bastille, il évoque ses motivations, notamment lorsqu’il écrit : "Je la fis dans cette idée : verrai-je cette marque l’année prochaine ? Il me semble que, si je la revoyais, j’éprouverais un sentiment de plaisir, et le plaisir est si rare, vers l’automne de la vie, qu’il est bien permis d’en rechercher les occasions". L’inscription de la place des Vosges est aujourd’hui la seule connue encore visible de ses nombreuses gravures.
L’inscription agit comme une trace directe du passé, gravée par un homme qui a souhaité laisser une empreinte dans la ville. Les visiteurs curieux du quartier du Marais, les amateurs d’insolite ou les promeneurs du week-end pourront également s’arrêter quelques instants pour observer cette modeste gravure. Aucune signalétique ne la met en valeur, ce qui en fait une découverte discrète, réservée à celles et ceux qui savent où regarder.
Restif de la Bretonne est également connu pour ses récits érotiques et ses chroniques sociales. Ses promenades nocturnes ont inspiré l’un de ses ouvrages majeurs, Les Nuits de Paris, publié en 1788. Il y dresse un tableau pittoresque de la capitale, alors en pleine transformation à la veille de la Révolution française. Ce contexte donne une portée plus large à ses inscriptions, entre acte intime et chronique urbaine.
Si la mention « 1764 NICOLAS » constitue un témoignage unique, elle fait partie d’un ensemble plus vaste, aujourd’hui effacé. D’autres inscriptions similaires auraient été visibles à l’époque aux Halles, sur l’Île de la Cité ou encore sur l’Île Saint-Louis, formant un véritable réseau de messages personnels disséminés dans Paris.
