Saviez-vous que l'un des lieux les plus emblématiques de Paris fut autrefois un port, une scène d’exécutions et un symbole du pouvoir ? Située dans le 4e arrondissement de Paris, la place de Grève – aujourd’hui connue sous le nom de place de l’Hôtel-de-Ville – désignait autrefois un espace de graviers en bord de Seine. Avant de devenir le centre administratif de la capitale à partir de 1357, cette place fut d’abord une grève au sens topographique : un terrain sablonneux et légèrement en pente vers le fleuve. Ce toponyme, descriptif à l’origine, allait cependant être chargé de multiples significations historiques et sociales.
La "grève", avant d’être politique, était donc géographique. Louis VII céda en 1141 une partie de cette zone à la puissante corporation des marchands de l’eau, qui y installèrent un port de déchargement. Ce site stratégique évolue rapidement : en 1357, Étienne Marcel, prévôt des marchands, y acquiert la « maison aux piliers » pour en faire le tout premier Hôtel de Ville. Dès lors, la place de Grève devient le cœur administratif de Paris, fonction qu’elle occupera sans interruption jusqu’à la Révolution.
Mais la notoriété de la place de Grève tient aussi à son rôle dans l’histoire pénale. Dès le XIVe siècle, elle devient le lieu d’exécution privilégié de la justice royale puis municipale. La toute première suppliciée, Marguerite Porette, y est brûlée vive en 1310. Pendant plus de cinq siècles, jusqu’en 1830, ce lieu fut associé à l’échafaud. On y pendait, décapitait ou brûlait selon le statut social du condamné. « La Grève avait dès lors cet aspect sinistre que lui conservent encore aujourd’hui l’idée exécrable qu’elle réveille », écrivait Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris.
L’écrivain, témoin enfant de plusieurs exécutions publiques, évoque avec force ces scènes dans Le Dernier Jour d’un Condamné. Dans ce texte, il décrit notamment "l’Hôtel de Ville [...] sombre, lugubre, la face toute rongée de vieillesse [...] Les jours d’exécution, il vomit des gendarmes de toutes ses portes, et regarde le condamné avec toutes ses fenêtres". Ce spectacle, où se mêlaient foule, effroi et divertissement morbide, marqua durablement la mémoire collective.
En parallèle de cette dimension judiciaire, la place conserve son rôle de centre du pouvoir municipal. Dès François Ier, un projet de reconstruction de l’Hôtel de Ville est confié à Dominique Boccador. Commencée en 1533, la construction ne sera achevée qu’en 1628. Le bâtiment subira plusieurs transformations au XIXe siècle, notamment sous l’impulsion du préfet Haussmann, qui sera lui-même installé dans ces murs à partir de 1853.
En 1803, dans un souci de modernisation toponymique, la place de Grève est officiellement rebaptisée place de l’Hôtel-de-Ville. Le mot "grève", devenu synonyme de rassemblement populaire voire de protestation, notamment en raison des mouvements ouvriers ultérieurs, cède alors la place à une dénomination plus institutionnelle.
Aujourd’hui, si les exécutions ont cessé depuis 1832 (elles furent déplacées à la barrière Saint-Jacques), l’ancienne place de Grève conserve dans sa pierre et sa mémoire l’empreinte des siècles. Elle demeure un espace de rassemblement, mais aussi un témoin muet des transformations politiques, sociales et judiciaires de Paris. Comme l’écrivait Hugo dans Actes et Paroles : "Il y a une divinité horrible, tragique, exécrable, païenne. [...] Elle s'appelle à présent la Peine de Mort".
La place de Grève, longtemps théâtre de la violence d’État comme de l’exercice du pouvoir municipal, résume à elle seule la complexité historique de Paris : entre justice, politique, commerce et mémoire collective.
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